Les biroussans
LES PREMIERS BIROUSSANS Il Y A environ dix mille ans, des hommes se sédentarisent et peuplent en permanence le Couseran. Les Ligures (une race indo-européenne) sont les premiers habitants typiques des Pyrénées. Très vite ils sont chassés par les Ibères, qui resteront jusqu’aux invasions romaines. Ils cultivent la terre et élèvent des animaux : c’est la célèbre civilisation « sylvo-agropastorale », un mode de vie qui ne changera pas tellement jusqu’au siècle dernier. Suivant le retrait des glaciers, cette civilisation va lentement coloniser les vallées montagneuses, laissant quelques traces de sa culture. Ainsi, dans le Biros, on trouve le mégalithe d’Eylie et le dolmen d’Ayer, à l’entrée de la vallée du Riberot. Ces constructions ont nourri un bon nombre de légendes, comme celle de la « Peyro quillado » (la pierre dressée), colportée jusqu’à nos jours par la tradition orale. Les hommes qui pénètrent dans le Biros s’organisent en villages, en vue de mieux profiter des biens communs, comme les sources, la terre, les minerais et la forêt, mais aussi pour la protection contre d’éventuelles agressions. La soulane a sûrement été le premier lieu habité, et a dû rester longtemps plus vivant que le fond de vallée, beaucoup moins hospitalier l’hiver, lorsque le soleil ne fait qu’une apparition de quelques minutes dans l’après-midi. Les premières activités humaine sont essentiellement l’élevage et l’agriculture, mais, dès l’époque romaine, on s’intéresse aux minerais, et apparaissent les premières mines au-dessus d’|Irazein], d’où les Romains extrayaient le cuivre. LE BIROS, DE LA FIN DES ANNEES 1700 A 1850 Aujourd’hui, il est très difficile d’imaginer la vie bouillonnante qui pouvait régner dans le Biros à la fin des années 1700. Fermez les yeux et plongez-vous deux cents ans en arrière : près de quatre mille personnes peuplent la vallée, un chemin entre Sentein et Castillon loin d’être carrossable, une soulane recouverte de champs et de cultures, où l’on cultive des céréales et des plantes textiles, une forêt très réduite, des estives surpâturées, des villages bruyants de vie, des églises pleines, des cols frontaliers parcourus tous les jours… Seulement deux siècles nous séparent de cette époque, et le contraste est énorme, comment en sommes-nous arrivés à cette vallée « vide » si rapidement ? Attardons-nous un peu sur cette histoire. Mis à part les années 1793, 1794 et 1795, où la France et l’Espagne étaient en conflit, les relations entre les habitants des deux versants des Pyrénées sont excellentes, et on s’échange par les ports d’Orle et de la Hourquette des moutons, du sel, des tissus ou encore des outils. C’est ainsi que certains Biroussansvivaient des métiers de muletiers, passeurs, colporteurs ou commerçants. Dans la vallée, les terres cultivables sont toutes exploitées, et certains sont même obligés d’aller chercher ailleurs un travail saisonnier. En effet, dans la première moitié du XIXe siècle, la population biroussane va augmenter remarquablement, et les conséquences vont peser sur la vie économique et sociale, en posant des problèmes d’espace vital pour les hommes et les animaux. Les pâturages sont surchargés, et c’est une raison de plus aux querelles entre villages, fréquentes à cette époque. Un conflit local : la guerre des Demoiselles. À cette époque, l’autorité nationale se heurte rapidement à la population dès qu’elle porte directement atteinte aux libertés ou aux éléments de survie des Biroussans. C’est dans ce contexte, en 1827, qu’un code forestier très sévère réglementa les droits d’usage traditionnels sur la forêt et les pâturages. Il était notamment interdit de ramasser le bois mort, et le nombre de bêtes par pacage était réglementé. Ce code insupportable pour le monde paysan fit naître une insurrection, appelée plus tard la « guerre des Demoiselles ». Cette révolte débuta en 1827 dans la vallée de la Bellongue voisine, pour s’éteindre cinquante ans plus tard vers Saint-Girons, sans aucun mort. Dans le Biros, elle commença en 1828, au col de Nédé. Des hommes habillés de longues chemises en lin blanches, la tête noircie pour ne pas être reconnus, usaient ainsi de leur droit d’affouage. Mais cette curieuse jacquerie était parfois plus violente, et, organisés en groupes armés, ils n’hésitaient pas à tabasser des gardes forestiers, et détruire et incendier ce qui pouvait représenter le pouvoir central. Les « demoiselles » n’agissaient pas en marge de la population, mais bénéficiaient bien de l’appui officieux des autorités locales (maires, curés…) et du silence de tous leurs concitoyens. Certains ou « certaines » furent arrêtés et traduits en justice devant la cour d’assises de l’Ariège, inculpés pour tentative d’assassinat, incendie volontaire et association de malfaiteurs. L’un d’eux fut condamné à dix ans de réclusion et exposé au pilori. De 1815 à 1850, le Biros connaît une histoire difficile, la pomme de terre récemment adoptée ne règle pas tous les problèmes de famine qui sévissent dans la plupart des foyers. En 1847, cinquante familles souffrent de la famine, et, entreBonac et Sentein, on trouve environ cinq cents chômeurs. Une situation qui pousse bon nombre de jeunes à se diriger vers des travaux lointains : vignes du Bordelais, travaux des chemins de fer, et toujours quelques travaux saisonniers en Espagne, amorçant ainsi le lent dépeuplement de cette vallée surpeuplée. En effet, même si on a du mal à l’imaginer, à cette époque, dans le Biros, 4 500 à 5 000 personnes (on parle même de 7 000) vivent d’élevage, d’agriculture et de commerce, grâce aux passages que l’on sait vers l’Espagne. Le détail des activités exercées à Antraslaisse d’ailleurs rêveur : on compte alors trois cabarets (entendez « cafés »), deux maçons, deux tailleurs, un cordonnier… LE BIROS, DE 1850 A 1950 La misère ne s’arrange pas, et on la rencontre désormais dans tous les villages. Des ateliers de charité sont même ouverts à Sentein, Bonac et Irazein. Aux difficultés d’embauche s’ajoutent des problèmes de nourriture, et une grave disette apparaît. La santé des Biroussans se dégrade, et les cimetières débordent, malgré les soins permanents et gratuits de deux médecins. Mais c’est parfois dans les moments les plus sombres que les meilleures choses arrivent : c’est dans ce contexte qu’une exploitation minière apparaît au Bentaillou, en 1853 (l’histoire minière sera détaillée ultérieurement). Rapidement, cette nouvelle activité crée un certain nombre d’emplois, et engendre une grosse amélioration des voies de communication entre Sentein et Castillon, jusqu’ici plus que sommaires. C’est en même temps que Sentein se lance dans l’aventure touristique, avec les thermes du Pradeau, une activité qui aura du mal à connaître un grand succès, mais qui, avec les séjours thermaux, fait quand même vivre quatre hôtels dans le village, au début des années 1900. En 1890, seulement douze ans après la première lampe à incandescence, l’électricité arrive à Irazein par une petite installation hydroélectrique sur le ruisseau. Ce sera le premier village de toute la vallée à s’éclairer ainsi, mais, rapidement, à l’initiative de particuliers ou maires fort astucieux, Sentein et Bonac s’équipent des mêmes installations. Tout au long de ce siècle, chaque commune va s’occuper de l’éducation de ses enfants et, alors qu’en 1800 un seul instituteur donne des cours dans la vallée, en 1900, chaque village est doté d’une école et d’un instituteur. Déjà en 1870, il y avait 60 élèves à Antras. En 1888, 28 à Irazein et 30 à Balacet. DE 1900 A 1914 : LE PLUS BEAU DES BIROS Si un jour on inventait une machine à remonter le temps, c’est sans hésiter cette période que je choisirais pour découvrir le passé de cette vallée. Imaginez un peu alors : diverses mines et carrières (plomb, zinc, cuivre, marbre) en plein essor, une vallée de moins en moins loin du monde par de meilleurs accès routiers, une vie pastorale débarrassée en grande partie de ses problèmes ancestraux, et un tourisme naissant prometteur. Voilà résumés les facteurs économiques au début du XXe siècle. En 1913, à la fin de ces années « glorieuses », le désenclavement routier aboutit à la construction d’un tramway électrique qui relie Saint-Girons à Sentein. À cette période, le tramway effectue quatre allers-retours quotidiens, non seulement pour transporter des passagers, mais aussi et surtout pour acheminer le minerai concentré de |Sentein] à Saint-Girons. Avec le début de la guerre, en 1914, ces allers-retours n’étaient pas près de s’arrêter, en effet, pour répondre aux besoins plus importants en plomb et en zinc, le tramway allait transporter encore plus de minerai et allait aussi aider des hommes à rejoindre les armées du Nord et de l’Est. 1914-1918 : UNE GUERRE… Beaucoup de jeunes sont partis, dont certains la fleur au fusil, vers les tranchées du Nord. Une chose bien étonnante quand on connaît la vallée et son habituelle résistance aux directives nationales. Mais voilà ! la nationalisme présent partout, que ce soit dans les discours des instituteurs ou les paroles des curés, a fait de l’Allemand un ennemi plus inquiétant et plus digne d’être combattu pour les Biroussans que l’Espagnol des guerres de la Révolution ou de l’Empire. Avec le départ des hommes, le rôle des femmes s’est beaucoup accru, non seulement dans l’élevage et l’agriculture, mais aussi dans le travail de lavage et de concentration du minerai. Le 11 novembre 1918, la guerre est terminée, mais elle ne rend pas tous les hommes qu’elle a pris au Biros, environ 25 % des mobilisés ne reviendront pas, dans leurs mains se tenait l’avenir de la vallée… LES ANNEES 1920 Pour le tramway, c’est la grande époque, du nouveau matériel améliore la voie. Les gares des Bordes, Engomer, Sentein et Bonac sont enfin achevées. Les horaires offrent quatre allers-retours voyageurs quotidiens, et cinq ou six les jours de foire. Seule une heure quarante-cinq est nécessaire pour rejoindre Saint-Girons, mais ces heures de gloires ne seront que de courte durée, très vite, la concurrence automobile va se faire sentir, surtout que son meilleur client, qui n’est d’autre que l’exploitation minière, cesse la plupart de ses activités après 1927. L’exploitation minière du Bentaillou n’est pas la seule à subir les conséquences économiques de l’après-guerre, les mines de cuivre d’Irazein ainsi que le complexe minier de la vallée d’Orle et du Fourcaye ferment à leur tour, plongeant à nouveau des centaines d’ouvriers dans l’inactivité. On hésite de moins en moins à déserter la vallée pour rejoindre la ville, où l’on trouve des emplois dans le fonctionnariat (police, gendarmerie, enseignement, impôts, armée…) ou dans les grandes industries. |
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DE NOUVEAUX BIROUSSANS ? LES NÉORURAUX Les premiers sont arrivés dans la vallée au cours des années 1970. Français, allemands, britanniques, belges, ils ont été attirés par cette vallée vide, où il était encore possible de restaurer des granges ou de construire des « cabanes », cultiver son jardin, élever quelques animaux, produire du fromage ou du pain, et pourquoi pas de les vendre sur place. Pour certains, c’était un choix, vivre selon des convictions, à l’écart d’un monde urbain, industrialisé et consommateur. Pour d’autres, ce fut juste un passage, parce que « c’était dans l’air du temps ». Une chose est sûre, tous ces néoruraux, ces « hippies », comme les appelaient les autochtones, venus de tous les horizons, sont issus du même mouvement de Mai 68, et redynamisèrent un peu le Biros. Les rapports avec les Biroussans de souche n’ont pas toujours été très faciles, et inutile de vous dire que les tipis (tentes d’Indiens), plantés sur la soulane le temps de construire quelque chose en dur, ont fait friser plus d’une moustache… Les meilleures relations ont peut-être été avec les plus anciens des autochtones, dont la plupart n’étaient jamais allés plus loin que Saint-Girons et n’avaient jamais mis d’autres chaussures que des sabots de bois. Peut-être ont-ils été heureux de voir des jeunes travailler une terre qui ne nourrissait plus personne après avoir fait vivre toute une vallée. Peut-être était-ce tout simplement leur hospitalité, dont ils ont fait preuve déjà dans le passé, à l’égard de tout étranger. À ce propos, j’aimerais insister un instant sur la souffrance qu’ont dû endurer les autochtones, non seulement du Biros, mais de toutes les vallées ariégeoise, ce qui explique peut-être la réticence de certains à vendre des terres ou des granges dont ils n’ont plus aucune utilité : avec la jeune génération, qui fuit les vallées pour trouver du travail ailleurs, et ces néoruraux qui arrivent, c’est une civilisation vieille de plusieurs millénaires qui s’éteint, une civilisation sylvo-agropastorale qui, depuis 7 000 à 10 000 ans, n’a que très peu changé ! Il est très important de garder cette notion à l’esprit, et de s’en souvenir à chaque fois qu’un ancien reste attaché à son lopin de terre, ces anciens souffrent à chaque mètre carré gagné par les ronces, ou chaque volet qui se ferme, ce sont les dernières mémoires vivantes d’une civilisation morte… Fermons la parenthèse et revenons à nos néoruraux. Certains se sont donc réellement installés, vivant plus ou moins du travail de la terre, d’élevage, de petites productions, comme le pain ou le fromage, ou encore d’artisanat, comme la vannerie ou la sculpture sur couteau ; d’autres se contentent du RMI. Sur cette photo : la fenaison au-dessus d’Antras. Pierre et Gilles, deux néoruraux, réexploitent des terres abandonnées depuis des années, conservant les usages traditionnels. |
À Antras, Françoise Poignant a ouvert un atelier de vannerie et propose des stages à cinq minutes de marche du village, et elle vend aussi parfois ses paniers à la foire de Castillon.
Toujours dans le même village, Daniel Lecoutour élève des chevaux de race castillonaise et effectue des chantiers de transport ou de débardage dans des zones inaccessibles aux moteurs. Il a notamment travaillé à la réhabilitation des tourbières de l’Isard, en collaboration avec l’ONF. À Sentein, Karine et Willy s’occupent des Écuries du Biros, et organisent des randonnées à cheval (ici aussi de race locale) pour découvrir notre vallée, jusqu’en haute montagne. |
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Jean-François Morisot, dit « Bori » ( le père d'Anoura - Anoura est actuellement le gardien du refuge de l'étang d'Araing avec Yves Garel-), a construit une boulangerie à Irazein ( voir notre album photo ) et restauré un moulin hydraulique sur le ruisseau du même village. Le moulin Ici, le moulin de Fontaine tel qu’il a été racheté et après un bon débroussaillage. On peut apercevoir la paire de meules, à l’intérieur du moulin, et le toit prêt à s’écrouler. |
Quelques temps plus tard, grâce aux artisans et aux bénévoles de la vallée, le moulin est prêt à moudre à la seule force du torrent.
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